Lettre 2 - Le procès dans la presse

La Presse sur le Fil du Rasoir

Rendre compte du procès intenté au journal L'Événement en juin 1851 était un exercice périlleux. Dans le climat politique de plus en plus crispé de la présidence de Louis-Napoléon Bonaparte, où la liberté de la presse était surveillée, critiquer le pouvoir ou ses lois comportait des risques. L'Événement lui-même était jugé pour un article de Charles Hugo jugé irrespectueux envers la loi sur la peine de mort. La difficulté était d'autant plus tangible qu'un autre journal, Le Messager de l'Assemblée, était jugé le même jour par la Cour d'assises, envoyant un signal dissuasif à toute la profession : la critique avait des limites que le pouvoir n'hésiterait pas à faire respecter judiciairement.

Dans ces conditions, chaque publication devait mesurer ses propos. Publier un compte rendu détaillé, et surtout une opinion tranchée – qu'elle soit critique du verdict ou solidaire des accusés – pouvait être interprété comme une provocation. Face à la condamnation de Charles Hugo à six mois de prison, les réactions dans la presse furent donc loin d'être unanimes, dessinant un paysage médiatique fracturé, partagé entre indignation affichée et prudence calculée.

Vague d'Indignation dans la Presse d'Opposition

De nombreux journaux indépendants, libéraux ou républicains virent dans ce verdict une preuve de la dérive autoritaire du régime et une attaque contre les libertés fondamentales. Malgré les risques, ils exprimèrent vivement leur consternation.

La Presse, sous la plume acérée d'Émile de Girardin, fut la plus véhémente, comparant la situation sous la République à celle, paradoxalement plus libre selon lui, sous la Monarchie, et concluant par un dramatique :

« Sur un tombeau, une date suffit. La liberté, en France, n'existe plus. [...] Je dois me taire, car je pressens que j'aurai un autre rôle à remplir que celui d'accusé. À mon tour, j'aurai à remplir le rôle de juge. Je me tais donc. »

Le National exprima une affliction partagée par beaucoup :

« Ce jugement, que nous devons respecter, mais qui nous étonne et qui nous afflige, sera accueilli avec tristesse par la presse tout entière. » Le journal salua également « l'admirable éloquence » de Victor Hugo, dont la défense « prendra place parmi les meilleurs discours de l'illustre poète ».

La République, après avoir rappelé la condamnation similaire d'Eugène Forcade du Messager, ironisa sur les accusations portées contre les républicains tout en défendant le droit à critiquer la guillotine :

« Mais dira-t-on encore que les républicains sont des buveurs de sang, qu'ils veulent relever l'échafaud politique, quand ils protestent contre la guillotine, même au péril de leur liberté ? »

Le Siècle parla de "sensation pénible" et interrogea "la portée" du verdict, suggérant une motivation politique.

Le Charivari, via Taxile Delord, estima même que cette "sévère" condamnation donnerait une "force nouvelle" à la lutte contre la peine de mort menée par Hugo.

Ces journaux lisaient clairement le procès comme une affaire politique, une tentative de faire taire l'opposition incarnée par L'Événement et la figure de Victor Hugo.

Prudence, Distanciation et Critiques Voilées Ailleurs

Face à cette indignation affichée, d'autres publications adoptèrent des stratégies plus réservées, visant à informer sans s'exposer, ou à critiquer de manière détournée.

Le Constitutionnel, soutien notoire de l'Élysée, choisit la minimisation. Sa couverture fut réduite à un entrefilet factuel, sans opinion ni écho des débats passionnés, refusant ainsi d'accorder une importance politique à l'affaire.

Le Pays opta pour une couverture distanciée. Tout en reproduisant l'article de Charles et de larges extraits du discours paternel, le journal se désolidarisa explicitement des idées politiques de l'accusé, soulignant ses "opinions contraires" et vantant sa propre "modération" éditoriale.

La Gazette de France, légitimiste, pratiqua la critique voilée. Tout en s'inclinant devant la "chose jugée", elle questionna l'utilité même de la condamnation pour la tranquillité publique :

« Mais en vérité, nous nous sommes demandé bien des fois ce que la paix publique pouvait gagner à la condamnation de MM. Forcade et Hugo. Jusqu'ici, notre raison n'a pu nous le dire. »

Un Journalisme sous Pression

Au-delà des prises de position claires ou des stratégies de contournement, il faut imaginer l'effet dissuasif de ce climat sur l'ensemble de la presse. Des journaux moins influents ou plus craintifs ont pu choisir le silence ou une couverture purement neutre. Dans ce contexte tendu, le simple fait de rapporter fidèlement les plaidoyers, notamment celui de Victor Hugo, constituait déjà un acte significatif. Le traitement médiatique du procès de L'Événement révèle ainsi un journalisme contraint à l'équilibrisme, naviguant entre devoir d'informer, conviction et crainte de la répression, offrant un témoignage précieux des luttes pour la liberté d'expression à la veille du coup d'État.

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