Lettre 2 - Louis-Napoléon Bonaparte
Victor Hugo et Louis-Napoléon Bonaparte : De l'Alliance à l'Antagonisme Féroce
L'histoire du XIXe siècle français est marquée par des figures monumentales dont les destins se sont souvent croisés, parfois pour le meilleur, souvent pour le pire. Parmi les relations les plus fascinantes et les plus explosives figure celle qui lia puis opposa farouchement Louis-Napoléon Bonaparte, neveu du grand Empereur et futur Napoléon III, et Victor Hugo, le géant littéraire et la conscience morale de son temps. Leur parcours commun est une illustration saisissante de l'évolution politique de la France, passant de l'espoir républicain à la réalité autoritaire de l'Empire.
Louis-Napoléon Bonaparte : L'Héritier Ambitieux
Né en 1808, Charles-Louis-Napoléon Bonaparte grandit dans l'ombre et la légende de son oncle, Napoléon Ier. Exilé après la chute de l'Empire, il nourrit l'ambition de restaurer le nom des Bonaparte au sommet de l'État français. Ses tentatives de coup d'État (Strasbourg en 1836, Boulogne en 1840) échouent et lui valent l'emprisonnement puis un nouvel exil. Cependant, le nom de Bonaparte conserve une aura puissante, synonyme d'ordre, de gloire et de stabilité pour une partie de la population française lassée des troubles politiques. Profitant de la Révolution de 1848 et de l'instauration de la IIe République, il revient en France et, porté par un vote populaire massif mêlant nostalgie napoléonienne et désir d'un homme fort, il est élu Président de la République en décembre 1848.
Victor Hugo : Du Conservatisme au Républicanisme Ardent
À cette époque, Victor Hugo est déjà une figure littéraire incontournable, académicien, pair de France sous Louis-Philippe. Ses opinions politiques ont évolué. Initialement plutôt conservateur et monarchiste modéré, il est progressivement gagné par les idéaux républicains et humanistes, notamment après les journées révolutionnaires de 1848. Il voit dans la République une promesse de progrès social et de libertés.
1848 : Une Alliance de Circonstance
C'est dans ce contexte que les chemins de Hugo et de Louis-Napoléon se croisent de manière significative. Lors de l'élection présidentielle de décembre 1848, face aux candidats républicains jugés plus radicaux ou aux purs monarchistes, Hugo, comme une partie des conservateurs modérés, décide de soutenir la candidature de Louis-Napoléon Bonaparte. Ce choix est pragmatique : Hugo espère voir en lui un homme capable de stabiliser le pays et de le préserver de l'"anarchie" tout en respectant, du moins l'espère-t-il, les institutions républicaines. Il mise sur un Bonaparte qui serait un rempart contre les extrêmes, et peut-être, un dirigeant influençable vers une voie libérale. Hugo fait partie de ceux qui rendent visite au nouveau Président à l'Élysée.
Les Premières Fissures et la Divergence Croissante (1849 - Juin 1851)
L'illusion d'une convergence durable entre Louis-Napoléon Bonaparte et Victor Hugo s'estompe cependant rapidement après l'élection présidentielle. Dès 1849, les actes et les orientations politiques du Prince-Président et de son entourage commencent à susciter la méfiance puis l'opposition de Victor Hugo.
L'ambition personnelle de Louis-Napoléon se dessine plus clairement : bien que Président élu, il manœuvre pour renforcer son pouvoir, place des hommes de confiance aux postes clés, multiplie les voyages en province pour asseoir sa popularité propre et laisse entendre son désir de rester au pouvoir au-delà du terme unique prévu par la Constitution. Cette stratégie, visant à pérenniser son autorité au détriment potentiel des institutions, inquiète profondément Hugo. Un premier choc survient avec l'expédition contre la République romaine en 1849, décidée par le Président pour restaurer le Pape, qui heurte les convictions républicaines de l'écrivain et qu'il dénonce avec force à la tribune.
Par la suite, plusieurs lois portées par la majorité conservatrice de l'Assemblée, mais s'inscrivant dans une politique que le Président soutient ou du moins ne désavoue pas, accentuent la rupture. Hugo combat ainsi avec véhémence la Loi Falloux sur l'enseignement en mars 1850, y voyant une concession inacceptable au cléricalisme, et surtout la loi du 31 mai 1850 qui restreint drastiquement le suffrage universel, perçue par lui comme une attaque directe contre la souveraineté populaire et l'essence même de la République.
Face à cette dérive qu'il juge réactionnaire et autoritaire, les discours de Victor Hugo à l'Assemblée deviennent de plus en plus critiques. Il s'affirme comme l'un des grands orateurs de l'opposition républicaine, dénonçant sans relâche une trahison des promesses de 1848 et la menace grandissante que fait peser l'ambition présidentielle sur les libertés.
Juin 1851 : Un Antagonisme Installé
Au moment où se tient le procès de L'Événement en juin 1851, la rupture politique entre Victor Hugo et Louis-Napoléon Bonaparte est consommée. L'écrivain ne voit plus dans le Président un allié potentiel, mais le principal danger pour la République. Le soutien initial s'est mué en une opposition résolue face à un homme dont l'ambition personnelle semble désormais primer sur le respect de la Constitution et des libertés. Louis-Napoléon, de son côté, voit en Hugo et ses amis républicains des obstacles à ses projets. Le climat est tendu, les deux hommes incarnent des visions de plus en plus irréconciliables de l'avenir de la France. L'affrontement couve, même si nul ne sait encore précisément quelle forme il prendra.