Lettre 2 - Le procès de L’Évènement

Pour comprendre le procès intenté à Charles Hugo, il faut remonter à un fait divers tragique qui a profondément secoué l'opinion publique : l'exécution particulièrement brutale de Claude Montcharmont. Ce taillandier et braconnier du Morvan, condamné à mort pour le meurtre d'un garde-chasse et d'un gendarme, devait être exécuté le 10 mai 1851. Cependant, l'exécution tourna au spectacle macabre. Montcharmont se débattit avec une telle énergie sur l'échafaud que la première tentative échoua lamentablement. Le Courrier de Saône-et-Loire, journal local, bien que jugeant la peine méritée, ne put taire son « sentiment d’horreur devant un tel spectacle » : une lutte effroyable de près de trois quarts d'heure, un condamné résistant désespérément, et une exécution finalement reportée au soir même, accomplie dans des conditions inhumaines après l'arrivée d'un "renfort de bourreaux".

L'Article Incendiaire : Un Cri d'Horreur dans L'Événement

Profondément choqué et indigné par le récit de cette barbarie légale, Charles Hugo publie un article virulent dans L'Événement, le journal qu'il co-dirigeait (article que vous avez reçu avec votre premier courrier de la collection de correspondances de Victor Hugo). Intitulé "Le scandale de l'exécution de Montcharmont", cet article fustigeait avec une rare violence non seulement la cruauté de l'exécution, mais aussi, à travers elle, le principe même de la peine de mort, dénonçant une justice capable de tels excès barbares. C'est ce cri du cœur, cette protestation enflammée, qui vaudra à Charles Hugo d'être poursuivi pour offense aux lois, plus précisément pour attaque contre le respect dû à la loi et à l'institution judiciaire en critiquant une de ses sentences.

Le Procès de L'Événement (10 et 11 Juin 1851) : La Presse et la Justice Face à Face

Le 10 juin 1851, Charles Hugo comparaît donc devant la Cour d'Assises de la Seine, présidée par M. Partarrieu-Lafosse. L'audience de ce premier jour est principalement consacrée aux formalités d'usage et à l'interrogatoire de l'accusé par le Président. Face aux questions posées, Charles Hugo répond de manière brève et directe, sans chercher à se dérober, assumant pleinement la responsabilité de la publication de l'article incriminé. L'essentiel des débats, c'est-à-dire le réquisitoire de l'accusation et la plaidoirie de la défense, est reporté au lendemain.

Le 11 juin, l'atmosphère dans la salle d'audience est électrique. Comme le rapporta la Gazette des Tribunaux, ces affaires attiraient une foule considérable. Le public se presse, composé de journalistes, de sympathisants, de curieux, mais aussi d'adversaires. On sent la tension entre la défense de la liberté d'expression et l'autorité de l'État qui se sent défiée.

Victor Hugo à la Barre : Un Père, un Orateur, un Abolitionniste

Le procès prend une dimension historique ce 11 juin, lorsque Victor Hugo lui-même monte à la barre, non pas comme simple témoin, mais pour assurer la défense de son propre fils. Ayant obtenu l'autorisation – déjà exceptionnelle – d'être l'avocat de Charles, sa présence seule suffit à galvaniser l'audience. Il n'est pas seulement un père défendant son fils ; c'est le poète immense, l'académicien, la conscience morale de son temps, mais aussi un homme profondément engagé en politique, pair de France puis député, qui voit dans ce procès une tribune pour défendre ses idéaux républicains et humanistes. Il saisit cette opportunité pour transformer la défense de Charles en un réquisitoire passionné et inoubliable contre la peine de mort, l'une de ses grandes batailles politiques. Reprenant avec une force dramatique les détails sordides de l'exécution de Montcharmont, il s'adresse directement aux jurés, les plaçant face à leur propre humanité :

"Quoi ! un homme, un condamné, un misérable homme, est traîné un matin sur une de nos places publiques ; là, il trouve l’échafaud. Il se révolte, il se débat, il refuse de mourir. [...] Une lutte affreuse s’engage. [...] Enfin, après trois quarts d’heure !... [...] on ramène le misérable à la prison. [...] Point. La guillotine est vaincue, mais elle reste debout. [...] Et, le soir, on prend un renfort de bourreaux, [...] on le rapporte sur la place publique, pleurant, hurlant, hagard ; [...] On le hisse sur l’échafaud, et sa tête tombe ! – Et alors un frémissement sort de toutes les consciences. [...] C’est dans ce moment-là qu’un cri échappe à la poitrine d’un jeune homme, [...] un cri de pitié, un cri d’angoisse, un cri d’horreur, un cri d’humanité ; et ce cri, vous le puniriez ! Et, en présence des épouvantables faits que je viens de remettre sous vos yeux, vous diriez à la guillotine : Tu as raison ! et vous, diriez à la pitié, à la sainte pitié : Tu as tort !"

Découvrez l'intégralité de cette plaidoirie vibrante, l'un des textes fondateurs de la lutte abolitionniste en France. Lire le discours de Victor Hugo contre la peine de mort.

Ce procès de L'Événement dépasse largement le cadre d'une simple affaire de délit de presse. Il cristallise l'engagement indéfectible de la famille Hugo contre la peine capitale, il illustre les risques encourus par les journalistes engagés dans la défense de leurs convictions, et il offre une tribune historique à l'un des plus grands plaidoyers pour l'abolition jamais prononcés. Bien que Charles Hugo fût finalement condamné (à six mois de prison et 500 francs d'amende), le discours de son père et l'écho de ce procès résonnent encore puissamment aujourd'hui comme un appel fondamental à l'humanité et à la justice.

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