
Lettre 5 - Chanson militante
La douleur comme source d'inspiration
En novembre 1851, la répression qui frappe Victor Hugo à travers ses proches ne le paralyse pas ; au contraire, sa plume devient plus acérée que jamais. Tandis que ses fils et ses amis sont en prison, sa douleur se mue en une énergie créatrice combative. Refusant le silence et l'abattement, il transforme l'épreuve personnelle en une cause collective, et trouve dans la poésie et la chanson une nouvelle arme pour poursuivre la lutte.
"L'Art et le Peuple" : un chant né pour le combat
Inspiré par la captivité des siens, Victor Hugo écrit les paroles d'un chant, "L'Art et le Peuple", destiné à l'inauguration d'une association d'artistes. L'œuvre, qui lie indissociablement la liberté des peuples à la puissance de l'art, est immédiatement interdite par la censure qui y voit un message subversif. La musique est composée par Pierre Dupont, un chansonnier démocrate très populaire, connu pour son "Chant des Ouvriers". Le but est de créer un hymne qui puisse se marier "au battement du marteau, au mouvement de la lime".
La publication, un défi à la censure
Malgré l'interdiction, Victor Hugo et son équipe publient courageusement la chanson, paroles et musique, le 13 novembre 1851, dans leur nouveau journal, L'Avènement du peuple. C'est un acte de défi frontal au pouvoir. La voix que l'on cherche à étouffer dans les prétoires se fait chant, poème et clameur publique. En diffusant une œuvre censurée, Hugo ne se contente pas de protester : il oppose la liberté de l'art à l'arbitraire du pouvoir et affirme sa détermination à ne jamais céder.
Source : Bibliothèque nationale de France
Voici le texte de présentation et les paroles publiées dans L'Avènement du peuple.
Selon notre promesse, nous publions le chant de Victor Hugo avec la musique de Pierre Dupont.
Le chansonnier démocratique, l'auteur des Paysans et du Chant des Ouvriers, avec la vive intuition et la sûre habitude qu'il a de la forme — nous pourrions dire du don — de la chanson, a été saisi de l'effet profond et grave de ces strophes interdites par la censure. La belle mélodie qu'il a aussitôt improvisée sur ces paroles simples, calmes et comme religieuses, a voulu être vivement et fermement accentuée, pour se marier, dans l'atelier, au battement du marteau, au mouvement de la lime. C'est bien ! ce chant va exprimer admirablement ainsi la pensée du peuple en ce moment : l'impatience fiévreuse et contenue des irritations quotidiennes, — et, au fond, la forte sécurité qui résulte de la conscience du droit éternel.
Pierre Bernard.
L'ART ET LE PEUPLE
I.
L'art, c'est la gloire et la joie,
Dans la tempête il flamboie,
Il éclaire le ciel bleu.
L'art, splendeur universelle,
Au front du peuple étincelle
Comme l'astre au front de Dieu. (bis)
L'art est un chant magnifique
Qui plaît au cœur pacifique,
Que la café dit aux bois,
Que l'homme dit à la femme,
Que toutes les voix de l'ame
Chantent en chœur à la fois ! (bis)
L'art, c'est la pensée humaine
Qui va brisant toute chaîne !
L'art, c'est le doux conquérant !
A lui le Rhin et le Tibre !
Peuple esclave, il le fait libre ;
Peuple libre, il te fait grand ! (bis)
II.
O bonne France invincible,
Chante ta chanson paisible !
Chante et regarde le ciel !
Ta voix joyeuse et profonde
Est l'espérance du monde,
O grand peuple fraternel ! (bis)
Bon peuple, chante à l'aurore !
Quand vient le soir, chante encore !
Le travail fait la gaîté.
Ris du vieux siècle qui passe !
Chante l'amour à voix basse
Et tout haut la liberté ! (bis)
Chante la sainte Italie,
La Pologne ensevelie,
Naples qu'un sang pur rougit,
O Hongrie agonisante...
O tyrans ! le peuple chante
Comme le lion rugit ! (bis)
VICTOR HUGO - 6 novembre 1851.