
Saint-Exupéry à cœur ouvert : Confidences par-delà les nuages
Le poète, l'ami, le fils : un portrait intime à travers ses plus belles lettres.
Nous connaissons tous Antoine de Saint-Exupéry, le poète aviateur, le père du Petit Prince, le héros de l'Aéropostale. Mais derrière cette figure publique et légendaire se cache un homme dont la sensibilité, les doutes et les affections profondes ne se révèlent jamais aussi bien que dans sa correspondance. À l'Atelier des Lettres, nous sommes convaincus que pour toucher l'âme de quelqu'un, il faut parfois se pencher sur les mots qu'elle n'a pas destinés à la postérité.
La correspondance de Saint-Exupéry en est un exemple bouleversant, une fenêtre ouverte sur son atelier intime où "Tonio" se confie sans fard, à travers les mots mais aussi les dessins. Ce besoin d'échanger est ancré en lui depuis l'enfance, où il entame déjà une correspondance assidue avec sa mère et ses amis. Mais c'est sans doute sa vie de pilote qui donnera plus tard à cet échange épistolaire sa profondeur et son caractère vital.
Écrire pour briser le silence du ciel
Pour comprendre l'importance capitale de l'écriture épistolaire pour Saint-Exupéry, il faut se représenter la vie d'un pilote de ligne dans les années 1920-1930. Des heures durant, il était seul, isolé dans un cockpit vibrant au-dessus d'immensités vides : le Sahara implacable, l'océan infini ou la Cordillère des Andes menaçante. Cette solitude écrasante, ce dialogue constant avec le danger et les étoiles, a engendré chez lui une soif inextinguible de liens humains. L'écriture n'était donc pas un simple passe-temps, mais une nécessité vitale. La lettre devient alors bien plus qu'un simple message. Elle est une présence, une conversation différée, un fil invisible et vital tendu entre sa carlingue et le monde des hommes. C'est ce qui explique pourquoi ses lettres sont si vivantes, si pleines d'instantanés, de confessions profondes et d'un besoin constant de partager son monde intérieur. Elles sont le remède à l'isolement, le pont qu'il jette pour ne pas se perdre.
© Note manuscrite d'Antoine de Saint-Exupéry à une correspondante, sur une enveloppe de la Résidence de Tunis (circa 1941-1943). Provenance : collections privées, via ventes aux enchères.
Le dessin, une autre forme de langage
Un aspect fondamental et charmant de sa correspondance est l'omniprésence du dessin. Pour Saint-Exupéry, le croquis est bien plus qu'une simple illustration ; c'est un langage à part entière. C'est souvent par l'image qu'il prolonge sa pensée, ajoute une touche d'humour ou de tendresse, et exprime ce que les mots peinent à dire. Dans ses correspondances, bien avant de devenir le héros universel que nous connaissons, un petit personnage au nez en l'air et à l'écharpe flottante fait déjà son apparition. Ces dessins, esquissés sur un coin de page ou occupant l'entièreté d'une feuille, nous montrent que chez lui, l'écrivain et le dessinateur n'ont toujours fait qu'un. Le second venait au secours du premier pour toucher directement le cœur de son destinataire, prouvant la place centrale de cet art dans sa vie et dans sa manière de créer du lien.
Un dialogue fusionnel avec sa mère
Toute sa vie durant, Saint-Exupéry a entretenu une relation épistolaire quasi quotidienne avec sa mère, Marie de Saint-Exupéry. Cette correspondance, poursuivie jusqu'à sa disparition en 1944, est un dialogue sans fard qui révèle la nature profonde d'un fils pour qui sa mère reste le "réservoir de paix". Dans la lettre que celle-ci lui adresse en 1940, en pleine guerre, alors qu'elle s'épuise dans un hôpital, son unique préoccupation est le bien-être de son fils :
"Tonio chéri,
J'ai énormément de travail dans mon hopital mais je suis contente de rendre service et je travaille pour que tu sois gardé.
Mon chéri écris moi ; mon téléphone est le 61 à Vallauris, l'ambiance est sympathique j'ai 50 petits indochinois, nous les guérissons tous mais ils arrivent terriblement malades.
Je t'envoies des bises, je t'embrasse et je t'aime de tout mon coeur.
Maman"
© La transcription de cette lettre est rendue publique à travers les catalogues de maisons de vente aux enchères. Elle est passée en vente le 20 novembre 2007 (lot 94) chez Artcurial.
Cette courte missive dévoile la place centrale qu'il occupait dans le cœur de sa mère. Elle nous montre un Saint-Exupéry qui, même adulte et célèbre, reste un fils que sa mère veut "garder" et protéger, un besoin de réconfort qui transparaît dans toute son œuvre.
La camaraderie et l'affection à l'encre vive
L'amitié, forgée dans les épreuves, est l'autre pilier de la vie de Saint-Exupéry. C'est au sein de l'Aéropostale qu'il a noué ses liens les plus forts. Cette compagnie aérienne pionnière, qui assurait le transport du courrier de la France à l'Amérique du Sud dans des conditions extrêmes, était une véritable école de vie. Aux commandes d'avions fragiles, les pilotes comme lui, Mermoz ou Guillaumet, affrontaient le désert et les tempêtes, créant entre eux une fraternité unique. Sa correspondance avec Henri Guillaumet, à qui il dédia Terre des hommes, en est le plus vibrant témoignage. Leurs lettres sont empreintes d'une complicité brute et d'une tendresse virile :
"Mon vieux Guillaumet, Tu vois par la photographie ci-dessus que
j’attends impatiemment ton arrivée. On ne peut plus m’arracher de
la dune d’où je considère l’horizon. Et par le dessin en dessous
avec quelle ardeur je t’écris. Je ne pense même plus à mettre de
l’ordre ! Ton rapport était épatant. Il reste un fauteuil à l’académie je
te conseille vivement de l’enlever. C’est une affaire. Je n’ai rien à te
dire parce que j’ai la gueule de bois. Mes astuces s’en ressentent. [j’ai effacé cette
phrase parce qu’elle était inconvenante et que tu es très pudibond.]
C’est d’une tendresse folle. Je me console avec mon poulailler. J’ai
de plus en plus la gueule de bois. J’ai bien cherché, c’est tout ce
que j’ai de neuf à te dire. Tiens. Je vais mettre de l’ordre pour te
faire plaisir. C’est fait. Bonsoir. Ton vieil"
© Archives Nationales, Fonds Antoine de Saint-Exupéry (1911-1944), Cote : 153AP/1, Dossier 3.
Entre la "gueule de bois" avouée et la taquinerie sur l'Académie, cette lettre est un instantané de leur relation. Le détail le plus révélateur est sans doute cette phrase effacée. Elle montre un Saint-Exupéry sans filtre, qui se ravise par affection pour son ami. C'est dans ce genre de détail que se niche toute l'authenticité de l'homme.
L'Écho des Lettres
Explorer la correspondance de Saint-Exupéry, c'est donc entrer dans les coulisses de sa création et de sa vie. C'est découvrir que derrière l'écrivain se trouvait un homme qui, pour exister, avait un besoin vital de nouer des liens. C'est comprendre, enfin, que l'auteur du Petit Prince n'a jamais cessé d'être lui-même un homme en quête d'amitié et d'amour, cherchant à apprivoiser le monde.
C'est cette magie de la correspondance, cette capacité unique à capturer l'essence d'une vie, d'une amitié, d'un amour filial, que nous célébrons à l'Atelier des Lettres. Car chaque lettre est une porte ouverte sur l'Histoire, mais surtout, sur le cœur d'un homme.
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