
Lettres des Fitzgerald : La vérité sur l'été où est né Gatsby le Magnifique
Avant d'être des personnages de légende, Francis Scott Fitzgerald, l'écrivain de Gatsby le Magnifique, et sa femme, Zelda Fitzgerald, furent l'incarnation des Années Folles. Ensemble, ils représentaient le glamour, l'excès et la jeunesse dorée d'une Amérique en pleine effervescence. Mais derrière les fêtes endiablées et les coupes de champagne, la vérité se cachait dans l'intimité de leur foyer et dans les mots de leur correspondance.
Pour ce couple mythique, l'été 1924 devait être celui de la consécration. Il fut en réalité un point de bascule, un été ensoleillé qui portait en lui les germes de leur future tragédie. À travers leurs lettres, nous pouvons voir leur amour s'effriter et assister à la naissance d'un chef-d'œuvre.
1. Une lettre de Scott Fitzgerald : La naissance de Gatsby dans un paradis illusoire
Au début de l'été 1924, lorsque les Fitzgerald s'installent sur la Côte d'Azur à la Villa Marie à Valescure, F. Scott Fitzgerald a une conviction : c'est ici, sous le soleil de la Riviera, qu'il va écrire son chef-d'œuvre, Gatsby le Magnifique. Loin de l'agitation de New York, il cherche la quiétude nécessaire pour bâtir son monument littéraire. Le jour, Scott travaille avec acharnement, mais les soirs sont souvent dédiés aux dîners, aux cocktails et aux fêtes qui animent la côte. Le couple est au centre du tourbillon social, entouré d'autres artistes et expatriés américains.
Dans une lettre adressée à son ami écrivain Thomas Boyd, il dépeint une carte postale parfaite de sa nouvelle vie.
Extrait de la lettre de F. Scott Fitzgerald à Thomas Boyd, 23 juin 1924 :
"Après avoir vu Cannes, Hyères, Nice, Sainte-Maxime et Antibes, je pense que Saint-Raphaël (où nous sommes) est le plus bel endroit que j'aie jamais vu. [...] Nous avons acheté une petite voiture Renault et Zelda, le bébé et la gouvernante se baignent tous les jours sur une plage de sable ; en fait, tout est idyllique et pour la première fois depuis que je suis allé à Saint-Paul en 1921 (le pire choix que j'aie jamais fait dans ma vie), je suis parfaitement heureux. [...] Mon roman est presque terminé."
Tout y est : le cadre enchanteur, la famille heureuse, et le travail qui progresse. Scott est persuadé d'avoir enfin trouvé son équilibre. Pourtant, au milieu de cette illusion du bonheur parfait, une anecdote révèle ce qui le captive réellement : il raconte avoir croisé une fillette défigurée par la maladie. Ce détail macabre fascine son esprit d'écrivain, attiré par la décadence cachée sous les belles apparences. C'est cette même fascination qui nourrira Gatsby, un roman sur la corruption du rêve américain. Sans le savoir, Scott décrit ici la mécanique même de sa propre vie : une façade idyllique masquant déjà une lente désintégration.
2. La trahison de Zelda : La fêlure dans l'histoire des Fitzgerald
Cette vie mondaine et festive est aussi le début du drame. Pendant que Scott s'isole pour donner vie à Jay Gatsby, Zelda, sa femme, s'ennuie. Pour elle, la villa n'est pas un havre de paix, mais une prison dorée. Habituée à être le centre de l'attention, elle se sent devenir l'accessoire du génie de son mari. Cet effacement lui est insupportable.
Sur la plage de Juan-les-Pins, elle rencontre Édouard Jozan, un séduisant aviateur français. Une liaison passionnée s'engage. Pour Zelda, c'est une tentative désespérée de reprendre le contrôle de son propre récit, de se sentir vivante. Elle ira jusqu'à demander le divorce. Scott, anéanti, refuse et sa confiance est brisée à jamais. L'été de la création devient celui de la trahison. Il puisera dans cet adultère pour nourrir son œuvre, notamment le roman Tendre est la Nuit, transformant la douleur de Zelda en matériau littéraire et créant une blessure qui ne se refermera jamais.
3. De l'amour à la rivalité : Ce que la correspondance de Zelda révèle sur l'héritage de Gatsby
Contrairement à la légende actuelle, à sa sortie en avril 1925, Gatsby le Magnifique n'atteint pas le triomphe espéré. Les critiques sont mitigées et les ventes sont deux fois moins bonnes que celles de ses précédents romans. Le succès financier qui aurait pu panser les plaies du couple n'arrive pas.
Les années qui suivent sont une lente descente sur les plans financier, physique et mental. Alors que Scott sombre dans l'alcoolisme face à des dettes qui s'accumulent, Zelda cherche une échappatoire. À la fin des années 20 à Paris, elle se lance à corps perdu et avec une discipline obsessionnelle dans une carrière de danseuse de ballet. Mais sa santé mentale se détériore. L'épuisement physique et psychologique est immense. En 1930, elle subit sa première grande dépression et est admise à la clinique Prangins en Suisse. Ce sera le début d'un long et tragique cycle d'internements qui la mèneront de France et aux États-Unis.
C'est depuis cet l’hôpital de Baltimore, en mars 1932, qu'elle écrit à Scott. Elle vient de terminer son propre roman, Accordez-moi cette valse, et s'excuse de l'avoir envoyé à leur éditeur commun sans le lui montrer. La lettre est un condensé bouleversant de leur relation toxique, où l'amour semble se mêler désormais à la rivalité artistique.
Extrait de la lettre de Zelda à F. Scott Fitzgerald, [Fin mars 1932] :
"Scott, je t'aime plus que tout au monde et si tu as été offensé, j'en suis malheureuse. Nous avons toujours tout partagé mais il me semble que je n'ai plus le droit de t'infliger chacun de mes désirs et de mes besoins. J'avais aussi peur que nous ayons pu toucher au même matériau. De plus, sentant qu'il s'agissait d'une production douteuse en raison de ma propre instabilité, je ne voulais pas d'une critique cinglante comme celles que tu as sans pitié — même si c'était pour mon bien — faites à mes dernières histoires, pauvres choses. [...] Goofo, s'il te plaît, aime-moi — la vie est très déroutante — mais je t'aime."
Ces quelques lignes révèlent tout : un amour indéfectible mais aussi une peur paralysante de son jugement, une conscience aiguë de sa propre fragilité et un besoin vital de se créer un espace à elle.
L'été de 1924, avec ses promesses et ses fêtes, est mort et enterré. De la carte postale idyllique dépeinte par Scott au début de cet été à la lettre déchirante écrite par Zelda depuis un hôpital, leur correspondance nous révèle l’intimité de leur chute. Alors que le mythe public des Fitzgerald prenait son envol, leurs lettres racontaient déjà la fin de l'histoire, une vérité écrite avec une encre mêlée d'amour et de désespoir. Le soleil de la Riviera a bien vu naître un chef-d'œuvre, mais il a aussi jeté une ombre cruelle qui a fini par tout dévorer, les laissant à jamais prisonniers du mythe qu'ils avaient eux-mêmes créé.
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