La tablette d'ea-nasir

La tablette d'ea-nasir

La première lettre de réclamation de l'histoire

Imaginez un monde sans papier, sans encre, sans service postal. Un monde où chaque mot doit être patiemment gravé dans l'argile fraîche, où chaque message est un objet, un éclat de vie figé pour l'éternité. Nous sommes en Mésopotamie, cette région fertile du Moyen-Orient souvent surnommée le "berceau de la civilisation" qui a vu naître l'écriture, dans la vibrante cité d'Ur, il y a près de 3800 ans. C'est ici, sur une modeste tablette de la taille d'une main, que naquit non pas un poème épique ou un décret royal, mais une colère qui nous semble incroyablement familière : la toute première lettre de réclamation de l'histoire, adressée à un marchand nommé Ea-Nasir.

L'art d'écrire sa colère : une lettre gravée dans l'argile

Avant même de nous plonger dans le contenu de cette plainte, arrêtons-nous sur l'objet lui-même. Oubliez la légèreté d'une feuille de papier. Pour écrire en 1750 avant notre ère, il fallait un bloc d'argile humide et un calame, une tige de roseau taillée en pointe. Chaque lettre de l'écriture cunéiforme était une combinaison de "clous" ou de "coins" imprimés dans la matière molle. C'était un acte physique, délibéré. On ne pouvait effacer d'un simple trait. Une fois le message terminé, la tablette était laissée à sécher au soleil ou cuite au four pour la rendre quasi indestructible. La lettre de Nanni n'était pas un simple message, c'était un artefact, un témoignage bâti pour durer, porteur d'un poids autant littéral que figuré.

Nanni contre Ea-Nasir : une plainte pour du cuivre de mauvaise qualité

L'auteur de cette plainte cunéiforme est donc un certain Nanni, un client visiblement excédé. Le destinataire ? Ea-Nasir, un marchand spécialisé dans l'importation de cuivre depuis le lointain pays de Dilmun (l'actuel Bahreïn). Le cœur du litige est simple : Nanni a payé pour du cuivre de première qualité, mais a reçu des lingots de cuivre de mauvaise qualité. Pire encore, le messager qu'il a envoyé pour récupérer sa commande a été traité avec un mépris total et renvoyé les mains vides. Dans une société où la réputation et l'honneur étaient primordiaux, l'affront était double.

Que dit la tablette cunéiforme ? Une réclamation vieille de 3800 ans

La lettre, gravée en cunéiforme akkadien, détaille les griefs de Nanni avec une précision qui traverse les millénaires. En lisant ces mots, on ne peut s'empêcher de sourire. La frustration de Nanni face à la mauvaise foi d'Ea-Nasir résonne avec nos propres expériences. Voici un extrait de ce qu'il a gravé pour la postérité :

« Pour qui me prends-tu, que tu agis avec un tel mépris envers quelqu'un comme moi ? J'ai envoyé comme messagers des gentilshommes comme nous-mêmes pour chercher la bourse contenant mon argent, mais tu m'as méprisé en me les renvoyant bredouilles plusieurs fois, et ce, à travers des terres ennemies. Y a-t-il un seul marchand parmi ceux qui commercent avec Dilmun qui m'ait traité de cette façon ? »

Cette dernière question rhétorique montre bien l'indignation de Nanni. Il ne s'agit pas seulement d'un différend commercial ; c'est une question de respect, de normes et de pratiques commerciales bafouées.

Comment envoyait-on une lettre en Mésopotamie ?

Une fois sa tablette gravée, comment Nanni s'est-il assuré qu'elle parvienne à son destinataire ? Il mentionne lui-même avoir envoyé des "messagers". À cette époque, le courrier circulait au gré des caravanes commerciales ou via des messagers privés. Pour garantir la confidentialité, on utilisait parfois une technique ingénieuse : une "enveloppe" d'argile. La tablette était enveloppée dans une fine couche d'argile sur laquelle on apposait le sceau-cylindre de l'expéditeur. Pour lire la lettre, le destinataire devait briser cette enveloppe, s'assurant ainsi que le message n'avait pas été intercepté. Le voyage était long et souvent dangereux, comme le souligne Nanni en parlant des "terres ennemies" traversées par ses émissaires.

La postérité d'Ea-Nasir : de la Mésopotamie au British Museum

Cette tablette d'argile, aujourd'hui célèbre sous le nom de plainte à Ea-Nasir, a été découverte dans les années 1930 par l'archéologue Sir Leonard Woolley. Elle fut retrouvée dans les ruines de ce que l'on pense être la maison même d'Ea-Nasir. Et c'est là que l'histoire devient savoureuse : les archéologues ont mis au jour une véritable archive de "dossiers clients". D'autres tablettes trouvées au même endroit contiennent des plaintes similaires, venant d'autres clients mécontents. L'un d'eux se plaint que les murs de sa nouvelle maison s'effritent déjà. Ea-Nasir n'était donc pas à son coup d'essai ; il était un homme d'affaires manifestement peu scrupuleux !

Aujourd'hui conservée au British Museum, cette petite plaque d'argile est bien plus qu'une simple curiosité archéologique. Elle est la preuve que, bien avant les e-mails de réclamation et les avis en ligne, le besoin de mettre des mots sur une injustice était déjà profondément humain. Elle nous rappelle la fonction première de l'histoire de la correspondance : créer un lien, porter une voix et, parfois, exiger que les choses soient faites correctement.

La prochaine fois que vous écrirez pour vous plaindre d'une livraison, ayez une pensée pour Nanni. Votre colère a un ancêtre vieux de 3800 ans, gravé dans l'argile pour l'éternité.

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